samedi 2 février 2008

Le Dessin de presse en Algérie

"Boîte à chique" de Slim publié dans Révolution Africaine n°1310 avril 1989 Pour avoir publié quelques dessins dans la presse coloniale des années cinquante le défunt Aït Djaffar, auteur des « complaintes des mendiants de la Casbah et de la petite Yasmina assassinée par son père », peut être considéré comme le précurseur de la caricature en Algérie.
Dès l'indépendance, en 1962, ce moyen d'expression est omniprésent dans le paysage médiatique officiel du pays. La presse arabophone et francophone publie régulièrement des dessins liés à l'actualité nationale et internationale. Les noms de Chid, Haroun, Slim, Kaci, Tenani, Aïder, Hiahemzizou, Arab, Hankour, Melouah, Maz, Ryad, Daho, Alilo Dorbane, Gébé … paraissent régulièrement.
En 1990, l'avènement de la démocratie suscite un foisonnement de publications en tous genres. Ne voulant pas être en reste, les dessinateurs se regroupent de nouveau autour d'un projet de journal satirique, « EL MANCHAR ».
EL MANCHAR, ( La scie ), est un mélange subtil et détonnant de textes satiriques, de dessins et de bandes dessinées politiques et sociales. Son succès auprès des lecteurs dépasse les prévisions les plus optimistes. Ce bimensuel, tiré à 200.000 exemplaires, est épuisé dès les premiers jours de sa sortie en kiosque. Il confirme le talent des anciens (Haroun, Aïder, Tenani, Melouah, Slim, Bouslah, Ryad...) et révèle de nombreux auteurs inconnus parmi lesquels Dilem, Sour, Fathy, Hic, Benyezzar, Bouss, Aknouche, Ayoub, Abi, Gyps, Dahmani, Beneddine, Nedjmedine…
La qualité de son contenu et l'insolence de sa ligne éditoriale surprennent et dérangent certaines personnalités du pouvoir qui n'aiment pas être contrariées. Elles essaient en vain de le récupérer en lui faisant des appels du pied sous forme de propositions d'aides financières et matérielles. Mais EL MANCHAR est le seul périodique algérien à vivre de ses ventes et, faute de local, à réunir sa rédaction dans la salle d'exposition Franz Fanon, ouverte au public et en présence de visiteurs perplexes.
Certains noms de journalistes, toutes fonctions confondues, sont cités avec fureur dans la haute sphère du pouvoir. Ils font aussi l'objet, dans les mosquées, de prêches virulents des leaders islamistes. Ces gens qui se croyaient investis d'une mission divine sont ramenés à leur dimension de petits « Mickey » dans EL MANCHAR et BAROUD, un autre périodique satirique créé par une partie du collectif.
En 1992, l'arrêt du processus électoral, dont le premier tour des législatives est nettement favorable aux candidats FIS va plonger pour longtemps le pays dans une spirale de violence infernale. Lee islamistes, frustrés d'une victoire, se lancent dans l'action terroriste. Leurs premières cibles sont les intellectuels et les journalistes, qui les ont affrontés publiquement et dénoncé leur projet de société.
Après l'assassinat du Président Mohamed Boudiaf et du grand écrivain et journaliste Tahar Djaout, le dessinateur Slim est le premier à rallier le Maroc puis la France. Le célèbre dessinateur, billettiste, chroniqueur et éditorialiste, Saïd Mekbel, est abattu d'une balle dans la tête. Le dessinateur Brahim Guerroui, dit Gébé, est kidnappé le soir à son domicile par les groupes armés. Le lendemain, à la cité populaire des Eucalyptus, il est jeté au pied de son immeuble, les mains ligotées au fil de fer et la gorge tranchée. Le dessinateur Dorbane succombe lors de l'explosion d'une voiture bourrée de T.N.T. devant la Maison de la Presse. Le talentueux scénariste, romancier et billettiste Djamel Dib meurt après un coma diabétique consécutif à d'un choc émotionnel.
EL MANCHAR cesse de paraître et, à l'instar de tous les journalistes de la presse algérienne, les dessinateurs entrent dans la clandestinité. L'Algérie donnait ainsi au monde de la presse satirique et de la bande dessinée les premiers martyrs.

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